La robustesse, antidote à la performance

La robustesse, antidote à la performance

Société, coaching

 

Dans un monde obsédé par la performance, la rapidité et l’optimisation permanente, un autre concept gagne doucement du terrain : la robustesse. Défendue par Olivier Hamant – biologiste et directeur de recherche à l’INRAE – cette approche nous invite à revoir notre rapport à l’efficacité. Au lieu de rechercher uniquement la performance maximale, elle valorise la capacité à résister aux imprévus. 🌱

« Optimiser fragilise. »
Cette affirmation illustre une loi fondamentale du vivant. Depuis des milliards d’années, les organismes privilégient non pas la performance maximale, mais une robustesse optimale.

Prenons un exemple : notre température corporelle.
En moyenne, elle est de 37 °C, alors que nos enzymes fonctionnent au mieux à 40 °C.
Ce décalage de 3 °C n’est pas une erreur, mais une marge de sécurité.
Ainsi, en cas d’infection, le corps peut élever sa température et activer plus efficacement son système immunitaire.
Si nous vivions en permanence à 40 °C, nous perdrions cette précieuse capacité d’adaptation.

Autre exemple : la photosynthèse.
Son rendement énergétique est faible (moins de 1 %).
Les plantes « gaspillent » 99 % de l’énergie solaire.
Pourtant, cette inefficacité apparente leur offre une grande flexibilité face aux changements de lumière ou aux agressions biologiques.

Voir la présentation TEDx d’Olivier Hamant La révolution de la robustesse

 

Les pièges de la performance

Notre société moderne a fait de l’optimisation un objectif constant. Tout doit être rationalisé : la logistique, le temps, le corps, l’esprit. Mais cette quête entraîne plusieurs fragilités :

  • Fragilité des systèmes : en 2021, un porte-conteneurs bloqué dans le canal de Suez a ralenti l’économie mondiale.

  • Effet rebond : un produit plus économe peut devenir plus gros ou plus utilisé, annulant le gain initial.

  • Loi de Goodhart : quand un indicateur devient un objectif, il perd sa valeur (ex. : dopage dans le sport).

  • Coût écologique : changement climatique, perte de biodiversité, pollution plastique.

Ainsi, la robustesse apparaît comme une alternative.
Elle ne supprime pas la recherche d’efficacité, mais place l’adaptation au premier plan.

Le vivant : vision hétérogène ou performante

 

7 jours de jeûne : la robustesse en pratique

 

« Tu ne vas vraiment rien manger pendant toute une semaine ? » Cette question, je l’ai entendue des dizaines de fois depuis quatre ans, depuis que je pratique ma cure annuelle de jeûne. Et pour cause ! Dans notre société d’hyperabondance alimentaire où les frigidaires sont pleins et où l’on peut manger à toute heure du jour et parfois de la nuit, l’idée de s’abstenir volontairement de manger pendant une semaine entière ressemble presque à une hérésie. Ce défi, à contre-courant de notre culture de l’abondance et de la consommation permanente, je j’ai relevé récemment à la Maison du Jeûne près d’Aix-en-Provence, labellisé Fédération Francophone de Jeûne et Randonnée (FFJR). Sept jours où les odeurs de cuisine sont remplacées par celles de la nature sur les sentiers de marche, où les moments de convivialité se créent autour de discussions partagées et passionnantes plutôt qu’autour de la table. Sept jours partagés avec dix autres jeûneuses, faisant de cette expérience solitaire une aventure collective de découverte de nos ressources insoupçonnées.

Nous sommes programmé.e.s  pour faire face au manque temporaire de nourriture

Le jeûne est souvent perçu comme une pratique extrême, voire dangereuse dans notre société d’opulence. Pourtant, biologiquement, nous sommes programmé.e.s pour alterner périodes d’abondance et périodes de disette. Notre corps possède une remarquable robustesse face au manque temporaire de nourriture – une capacité que nous avons largement oubliée.

Pendant ces 7 jours sans alimentation, j’ai observé comment mon corps, privé de son carburant habituel, activait des mécanismes de secours : l’autophagie (recyclage des cellules endommagées), la cétose (utilisation des graisses comme source d’énergie), la préservation musculaire… Tous ces processus témoignent d’une incroyable robustesse biologique, fruit de millions d’années d’évolution.

Lire aussi mon résumé du livre de Thierry de Lestrade Le jeûne, une nouvelle thérapie ?

Pendant le jeûne, une nouvelle forme d’équilibre s’installe

Les premiers jours ont été marqués par une baisse d’énergie et quelques « coups de blues » – le corps signalant sa préférence pour son fonctionnement habituel. Mais progressivement, une nouvelle forme d’équilibre s’est installée. Non pas un état optimal de performance, mais un fonctionnement alternatif, parfaitement adapté à cette situation inhabituelle.

Ce qui m’a le plus frappé, c’est la clarté mentale qui a émergé après le troisième jour. Contrairement à l’idée que l’absence de nourriture nous affaiblit nécessairement, j’ai expérimenté une forme différente d’énergie, plus stable, moins soumise aux fluctuations glycémiques. Une énergie peut-être moins intense, mais plus… fiable.

Les massages et les alternances de sauna et hammam ont rythmé nos journées, soutenant notre corps dans ce processus de détoxification. Les conférences sur l’alimentation nous ont offert le cadre intellectuel pour comprendre ce que nous vivions physiquement. Cette combinaison d’activités physiques douces, de soins du corps et d’éducation a créé un environnement idéal pour observer notre adaptabilité en action.

Ce que nous avons vécu collectivement n’était pas un état de privation, mais plutôt la redécouverte d’une capacité oubliée. Nos échanges du soir ont révélé à quel point cette expérience a remis en question nos croyances sur les « besoins » de notre corps. Une capacité non pas à performer idéalement, mais à s’adapter intelligemment. Voilà l’essence même de la robustesse : non pas fonctionner toujours à plein régime, mais savoir naviguer avec grâce dans les eaux changeantes de l’existence, en mobilisant des ressources insoupçonnées et en créant de nouveaux équilibres.

En basculant de la performance à la robustesse, nous entrerons dans un monde viable.

Olivier Hamant

Biologiste et directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement

 

Cultiver la robustesse au quotidien

La bonne nouvelle, c’est que chacun peut renforcer la robustesse dans sa vie. Voici plusieurs pistes, inspirées à la fois des sciences du vivant et de mon expérience de coaching en entreprise.

 

1. Diversifier plutôt que maximiser

La robustesse ne concerne pas seulement les spécialistes ultra-performants. Elle s’observe surtout chez les généralistes capables de s’adapter. Bien que cela semble à contre-courant, cette idée mérite réflexion.

 

Professionnellement : privilégier le profil en T

Dans le travail, on nous invite souvent à devenir des experts dans un domaine précis. Cela paraît logique à court terme. Cependant, cette spécialisation peut devenir un point faible si le contexte évolue vite.

Les profils robustes possèdent une expertise forte, mais aussi des compétences variées. Par exemple, un designer apprend quelques bases de code ; un comptable étoffe son storytelling ; un médecin s’initie à l’intelligence artificielle. Souvent, ces compétences complémentaires deviennent essentielles en cas de changement.

Personnellement, mon parcours illustre cette diversité. Ma formation en marketing et management, ainsi que des compétences en coaching et communication, m’ont permis de changer de voie quand certains secteurs ralentissaient. Quand une porte se fermait, d’autres s’ouvraient, grâce à cette polyvalence cultivée.

 

De la biodiversité dans notre assiette

Notre alimentation souffre d’une grande uniformité. Par exemple, 60% des calories mondiales viennent seulement de quatre plantes : riz, blé, maïs et pommes de terre. Cette monotonie représente une vraie fragilité pour la santé comme pour l’agriculture.

Plus notre alimentation est variée, plus notre microbiote et notre immunité se renforcent. Chaque couleur et famille botanique apporte ses bienfaits spécifiques. Pendant ma cure de jeûne, j’ai compris que la vraie sagesse ne consiste pas à chercher un aliment parfait, mais à varier le plus possible. Cela revient, par exemple, à tester chaque semaine un nouvel aliment, mélanger les sources de protéines ou utiliser la fermentation pour étoffer nos apports.

 

Financièrement : l’anti-fragilité par la diversification

En matière de finances, cette leçon s’impose naturellement. Les investisseurs qui misent tout sur un seul secteur prennent beaucoup de risques lors des crises. Au contraire, ceux qui diversifient leurs actifs sont plus résistants.

La robustesse financière consiste moins à essayer d’obtenir des gains énormes qu’à limiter les risques majeurs. Répartir ses investissements entre différentes classes d’actifs (actions, obligations, immobilier, métaux précieux…) assure une meilleure stabilité, peu importe la conjoncture.

 

2. Préserver des marges de manœuvre

 

Aujourd’hui, laisser du vide dans son emploi du temps ou son espace est souvent vu comme du gaspillage. Pourtant, ces réserves forment un socle essentiel de robustesse. Voyons pourquoi.

Le pouvoir du temps non programmé

Nos agendas ressemblent parfois à un Tetris : chaque minute est utilisée. Pourtant, que se passe-t-il si une réunion déborde, si un imprévu survient ou si un enfant tombe malade ? Le système entier s’effondre et le stress monte.

Pour éviter cela, il faut prévoir des espaces de respiration. Cela peut signifier ajouter 25% de temps en plus pour chaque tâche, garder des créneaux libres, ou réserver un jour par mois sans engagement. À titre personnel, je respecte la « règle des deux tiers » : ne jamais remplir plus de 70% de mon temps. Cette marge m’offre de la souplesse et diminue mon stress.

 

La réserve d’énergie pour prévenir l’épuisement

Souvent, nous valorisons la fatigue et l’épuisement. Pourtant, la robustesse énergétique repose au contraire sur l’entretien de réserves : finir la journée sans être vidé, pratiquer une activité physique modérée, alterner effort et récupération.

Ma semaine de jeûne m’a rappelé l’importance de ces réserves. Le corps puise dans des ressources inconnues quand il a de la marge. C’est seulement en les préservant au quotidien qu’on peut éviter l’épuisement.

 

L’éloge du vide

Nos maisons aussi doivent conserver des espaces vides pour rester souples : éviter de remplir chaque placard, garder une pièce ou un coin polyvalent, préférer le mobilier mobile. S’inspirer du « ma », philosophie japonaise de l’espace, aide à mieux gérer les imprévus : accueillir un proche, aménager un lieu de télétravail, ou simplement changer la fonction d’une pièce.

Lire aussi mon résumé du livre de Marie Kondo La magie du rangement 

 

3. Pratiquer l’alternance et la cyclicité

 

Notre époque valorise la constance : productivité stable, disponibilité permanente, croissance sans pause. Pourtant, la nature fonctionne autrement : tout avance par cycles.

Regardons autour de nous : les saisons, le jour et la nuit, les marées. Ces alternances assurent la régénération. Les systèmes vivants tirent leur robustesse de ces rythmes naturels.

Repenser notre relation à l’alimentation

Le jeûne intermittent est une façon simple d’introduire cette cyclicité. Plutôt que de manger constamment, on alterne les périodes de repas et de pause alimentaire (par exemple, méthode 16/8 ou 5:2). Cette alternance réaligne notre physiologie et renforce la robustesse.

Réinventer notre relation au travail

Les neurosciences l’affirment : notre cerveau fonctionne par cycles d’environ 90 minutes. Travailler par sessions, entrecoupées de vraies pauses, augmente la robustesse et la créativité. Programmer aussi des journées « off » ou des sabbatiques après de gros efforts aide à tenir sur la durée.

Briser notre hyperconnexion numérique

Nos appareils imposent un rythme constant. Pourtant, débrancher, même ponctuellement, s’avère salutaire : pratiquer des « jeûnes numériques » une fois par semaine ou par mois, éviter les écrans avant de dormir, alterner moments connectés et déconnectés.

Lors de ma cure de jeûne, cette déconnexion, en plus de la pause alimentaire, m’a permis de retrouver un espace de clarté et de présence. J’essaie désormais de sanctuariser ces alternances au quotidien.

 

Conclusion : la robustesse, une sagesse pour notre temps

 

À l’heure où notre monde devient de plus en plus imprévisible, la robustesse s’impose comme une sagesse particulièrement adaptée à notre époque. Elle nous invite à abandonner le mythe de la performance parfaite pour embrasser une vision plus nuancée et paradoxalement plus pérenne du succès.

Comme me l’a enseigné mon expérience de jeûne, la vraie force ne réside pas dans la capacité à fonctionner de façon optimale dans des conditions idéales, mais dans la capacité à maintenir l’essentiel en conditions adverses. C’est peut-être là l’une des leçons les plus précieuses que nous puissions tirer de la nature : dans un monde en perpétuelle fluctuation, mieux vaut être robuste qu’optimisé.

Ainsi, chaque jour, en diversifiant nos compétences, en préservant des espaces libres, en respectant nos cycles naturels, nous renforçons notre capacité d’adaptation. C’est souvent dans ces marges, ces alternances et ces choix de souplesse que se cache la vraie robustesse – celle qui nous permet de traverser les imprévus, avec calme et confiance.

embrasser la biodiversité dans notre assiette

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