vision du monde

Réconcilier les visions du monde
en milieu pro

Psycho, coaching, société

 

Quand deux visions du monde différentes se rencontrent au travail, elles peuvent être source d’incompréhension, de tensions voire de conflit. Mais quand l’approche systémique est utilisée, la magie opère et la divergence devient une opportunité d’enrichissement. Plongée dans l’art de réconcilier les perspectives professionnelles. 🔍

« Cette maman est insupportable ! », la voix de Laura résonne dans la petite salle où j’anime un Groupe d’Analyse de la Pratique Professionnelle (GAPP)  avec l’équipe d’une crèche. Elle poursuit : « Elle exige que son fils soit servi en premier à chaque repas, qu’il ait une place privilégiée lors des activités… comme si nous n’avions que lui à gérer avec 15 autres enfants ! »

Les hochements de tête des autres professionnelles parlent d’eux-mêmes. Je perçois l’incompréhension entre deux univers : celui d’une équipe éducative qui s’organise pour prendre en charge les besoins individuels de chaque enfant et celui d’un parent pour qui son enfant est le centre du monde.

Face à moi, deux visions du monde qui semblent irréconciliables, deux perspectives légitimes mais incompatibles en apparence. Cette scène n’a rien d’exceptionnel. Elle se produit partout où des professionnel(le)s passionné(e)s se heurtent à l’incompréhension de leurs usagers, des familles, de leurs collègues, de leur hiérarchie. Là où des mondes différents tentent de coexister sans forcément se comprendre.

Et pourtant, ces heurts ne sont pas une fatalité. Ils peuvent même devenir le terreau d’une bonne collaboration. Comment ? Grâce à une approche développée il y a plus de 70 ans à Palo Alto, en Californie, qui continue de révolutionner notre façon d’appréhender les relations humaines. Une méthode que j’utilise dans mon coaching en entreprise, en formation et dans les Groupes d’Analyse de la Pratique Professionnelle (GAPP) que j’anime.


Voyons comment cette approche systémique fonctionne et comment elle permet de réconcilier des visions du monde apparemment incompatibles. Quels sont les outils concrets, les exemples vécus et les techniques immédiatement applicables dans toute pratique de directeur(trice), responsable ou manager, comme au niveau des équipes.

Le GAPP : un espace de réflexion où les visions du monde se rencontrent

Qu’est-ce qu’un GAPP ?

 

Le Groupe d’Analyse de la Pratique Professionnelle (GAPP) est un dispositif qui permet à des professionnel(le)s de se réunir régulièrement pour réfléchir collectivement à des situations complexes rencontrées dans leur pratique quotidienne. Animé par un(e) intervenant(e) extérieur(e), il offre un espace sécurisé où la parole peut circuler librement, sans jugement ni évaluation.

Concrètement, lors d’une séance de GAPP, un(e) participant(e) expose une situation professionnelle qui lui pose question. Le groupe l’aide ensuite à prendre du recul, à analyser la situation sous différents angles et à explorer de nouvelles pistes d’action. L’objectif n’est pas de trouver une solution miracle, mais d’enrichir la compréhension de chacun(e) et d’élargir le champ des possibles.

visions du monde GAPP

 

Les spécificités du GAPP dans les structures sociales et médico-sociales

 

Dans les structures de la petite enfance, les établissements sociaux et médico-sociaux, les GAPP revêtent une importance particulière. En effet, ces environnements sont caractérisés par :

  • Une forte charge émotionnelle liée à l’accompagnement de personnes vulnérables
  • Des interactions quotidiennes avec des familles aux attentes et aux valeurs diverses
  • Des équipes pluridisciplinaires dont les approches et les formations diffèrent
  • Des contraintes institutionnelles qui peuvent entrer en tension avec les besoins individuels

Ces caractéristiques en font des terrains particulièrement propices aux confrontations entre visions du monde différentes. L’éducatrice qui valorise l’autonomie peut se heurter au parent qui privilégie la protection. L’infirmière focalisée sur le soin physique peut entrer en désaccord avec la psychologue attentive au bien-être émotionnel. La directrice préoccupée par les contraintes budgétaires peut sembler en décalage avec les équipes centrées sur la qualité d’accompagnement.

 

Un exemple révélateur : le décalage des perceptions en crèche

 

Revenons à l’exemple de Laura et de la maman « insupportable ». Cette situation, fréquente dans les structures d’accueil, illustre parfaitement ce que j’appelle « l’effet prisme » : une même réalité – l’accueil d’un enfant en collectivité – est perçue à travers des filtres radicalement différents.

Pour l’éducatrice, la vision du monde est structurée autour de valeurs comme l’équité, la socialisation, l’adaptation au groupe. Sa formation et son expérience lui ont appris que le développement harmonieux de l’enfant passe par l’apprentissage des règles collectives et l’acquisition progressive de l’autonomie.

Pour le parent, la vision du monde est centrée sur son enfant. Son prisme est celui de l’amour parental, du désir légitime que son enfant soit heureux, en sécurité, et qu’il reçoive toute l’attention nécessaire. Son cadre de référence est familial, non institutionnel.

Ces deux visions ne sont ni justes ni fausses – elles sont simplement différentes. Le problème survient lorsque chacun considère sa propre vision comme la seule valable, la seule « réelle ». C’est là que l’approche systémique entre en jeu, en nous invitant à dépasser cette opposition stérile.

 

L’approche systémique de l’École de Palo Alto : fondements théoriques

 

Origines et principes fondateurs

 

L’École de Palo Alto n’est pas un établissement à proprement parler, mais un courant de pensée né dans les années 1950 en Californie autour de figures comme Gregory Bateson, Paul Watzlawick, Don Jackson et John Weakland. Ces chercheurs, issus de disciplines diverses (anthropologie, psychologie, linguistique, mathématiques), ont développé une approche radicalement nouvelle de la communication et des relations humaines.
Le postulat central de cette approche est que les problèmes humains ne peuvent être compris isolément, mais doivent être considérés dans leur contexte relationnel. « On ne peut pas ne pas communiquer », affirme l’un des axiomes fondamentaux de Palo Alto, soulignant que tout comportement, même le silence ou l’immobilité, constitue une forme de communication qui influence les autres et est influencée par eux.

 

 

On ne peut pas ne pas communiquer.

Paul Watzlawick

Psychologue jungien, psychothérapeute et sociologue austro-américain.

 

Le concept de « vision du monde » selon l’approche systémique

 

Dans la perspective systémique, chaque individu construit sa propre « carte du territoire » – sa vision du monde – à partir de son histoire personnelle, de sa culture, de son éducation, de ses expériences. Cette carte n’est jamais le territoire lui-même, mais une représentation forcément partielle et subjective de la réalité.

Nos visions du monde agissent comme des filtres à travers lesquels nous percevons la réalité, donnons du sens aux événements et orientons nos actions. Elles sont généralement invisibles à nos propres yeux – nous ne « voyons » pas notre vision du monde, nous voyons avec elle.

L’approche systémique nous invite à prendre conscience de ces filtres et à reconnaître leur caractère relatif. Elle propose également une posture fondamentale : rejoindre la vision du monde de l’autre sans la juger, mais en l’amenant progressivement à prendre conscience qu’il existe d’autres façons de percevoir, de penser et d’agir.

 

La communication comme système

 

Pour l’École de Palo Alto, la communication n’est pas un simple transfert d’informations d’un émetteur vers un récepteur. C’est un système complexe d’interactions où chaque message s’inscrit dans un contexte qui lui donne sens et où la relation prime sur le contenu.

Cette approche distingue deux niveaux dans toute communication :
• Le contenu : ce qui est dit explicitement
• La relation : la façon dont ce contenu doit être compris, le cadre relationnel

Les malentendus et les conflits naissent souvent d’une confusion entre ces deux niveaux. Lorsque le parent exige un traitement particulier pour son enfant, il communique au niveau du contenu une demande spécifique, mais au niveau de la relation, il exprime peut-être une inquiétude, un besoin de reconnaissance ou une difficulté à faire confiance à l’institution.

 

 

Une carte n’est pas le territoire.

Alfred Korzybski

Philosophe et scientifique américano-polonais

 

Circularité, feedback, homéostasie

 

Trois concepts clés de l’approche systémique sont particulièrement utiles pour comprendre les dynamiques relationnelles :

  • La circularité : contrairement à la pensée linéaire (A cause B), la pensée circulaire considère que A influence B qui influence A en retour. Dans notre exemple, l’attitude exigeante du parent renforce la résistance de l’éducatrice, qui renforce à son tour l’attitude exigeante du parent.
  • Le feedback : c’est le processus par lequel une partie du résultat d’une action revient à l’acteur sous forme d’information sur cette action. Le feedback peut être positif (amplificateur de changement) ou négatif (régulateur, stabilisateur).
  • L’homéostasie : c’est la tendance de tout système à maintenir son équilibre, même dysfonctionnel. Ainsi, une équipe peut résister inconsciemment au changement, même lorsque celui-ci serait bénéfique, par peur de déstabiliser l’équilibre existant.

 

Ces concepts nous permettent de mieux comprendre pourquoi certaines situations semblent « bloquées » malgré les efforts de chacun, et ouvrent la voie à des interventions plus efficaces.

 

Rejoindre la vision du monde de l’autre : une compétence professionnelle essentielle

 

L’art de suspendre son jugement

 

La première étape pour rejoindre la vision du monde de l’autre consiste à suspendre son propre jugement. Cette suspension n’est pas un exercice facile – notre tendance naturelle est d’évaluer rapidement les situations et les personnes en termes de « bon » ou « mauvais », « juste » ou « faux », « raisonnable » ou « déraisonnable ».

 

Suspendre son jugement ne signifie pas abandonner ses valeurs ou ses convictions, mais créer un espace mental où la perspective de l’autre peut exister pleinement, sans être immédiatement évaluée selon nos propres critères.

 

l'art de suspendre son jugement

 

Les techniques pour accéder à la vision du monde de l’autre

 

Accéder à la vision du monde de l’autre requiert des techniques spécifiques. Parmi celles que j’utilise régulièrement dans mes GAPP, trois se révèlent particulièrement efficaces :

 

1. L’écoute active

 

L’écoute active va bien au-delà du simple fait d’entendre. Elle implique une attention totale à ce que dit l’autre, mais aussi à comment il le dit, à ce qu’il ne dit pas, à son langage corporel. C’est une écoute qui mobilise tous nos sens et notre intuition.

Lire aussi « L’écoute active améliore les relations »

Cette forme d’écoute nécessite de faire temporairement taire notre dialogue intérieur, de résister à l’envie de préparer notre réponse pendant que l’autre parle, et de porter une attention authentique à son discours.

Dans les GAPP que j’anime, j’observe souvent combien cette qualité d’écoute est transformative. Lorsqu’un(e) professionnel(le) se sent véritablement écouté(e) par ses collègues, sans interruption ni jugement, un espace s’ouvre où de nouvelles compréhensions peuvent émerger.

 

2. La reformulation empathique

 

La reformulation consiste à reprendre avec nos propres mots ce que nous avons compris du message de l’autre, en veillant à capturer non seulement le contenu explicite, mais aussi le ressenti et les besoins implicites.

« Si je comprends bien, vous vous inquiétez pour votre enfant car c’est sa première expérience en collectivité, et vous avez besoin d’être rassurée sur le fait qu’il reçoit l’attention nécessaire ? » Cette formulation, adressée à la maman « insupportable » de notre exemple, traduit sa demande explicite (traitement privilégié) en termes de préoccupations et de besoins légitimes (inquiétude, besoin de réassurance).

La reformulation empathique permet de créer un pont entre des visions du monde différentes en traduisant les demandes problématiques en besoins universels que chacun peut comprendre et respecter.

 

3. L’utilisation de la Communication Non Violente (CNV)

 

Développée par Marshall Rosenberg, la Communication Non Violente (CNV) offre un cadre précieux pour naviguer entre différentes visions du monde. Elle propose une structure en quatre étapes :
1. Observation : décrire les faits concrets, sans jugement ni interprétation
2. Sentiment : identifier et exprimer les émotions suscitées par ces faits
3. Besoin : reconnaître les besoins fondamentaux liés à ces émotions
4. Demande : formuler une demande concrète, réalisable et négociable

Dans nos GAPP, ces outils permettent de transformer des confrontations stériles en dialogues constructifs. Lorsqu’une éducatrice peut dire à une maman : « Quand vous demandez que votre fils soit servi en premier (observation), je me sens frustrée (sentiment) car j’ai besoin d’équité entre tous les enfants (besoin). Pourriez-vous m’expliquer ce qui vous préoccupe concernant les repas de votre enfant ? (demande) », elle ouvre un espace de dialogue où les deux visions du monde peuvent coexister et s’enrichir mutuellement.

 

Lire aussi « L’arbre du conflit : comment régler les différends à la racine »

Le recadrage comme outil de transformation

 

Le recadrage est l’une des techniques les plus puissantes issues de l’approche systémique. Il consiste à modifier le cadre conceptuel ou émotionnel dans lequel une personne perçoit une situation, pour lui donner un sens nouveau.

Recadrer, c’est inviter l’autre à voir la même réalité à travers un prisme différent. Ce n’est pas nier sa perception, mais lui proposer d’en explorer une autre, complémentaire ou alternative.

Dans une structure pour personnes âgées, lorsqu’une aide-soignante se plaint du comportement « manipulateur » d’un résident qui sonne constamment pour des demandes mineures, le recadrage consiste à envisager ce comportement non plus comme une manipulation, mais comme l’expression maladroite d’un besoin fondamental de contact humain et de sécurité. Cette nouvelle perspective peut complètement transformer l’attitude de la soignante, passant de l’irritation à la compréhension.

e recadrage comme outil de transformation

 

Applications pratiques en entreprise

 

Comment identifier les différentes visions du monde en présence

 

Pour identifier les visions du monde qui coexistent dans une situation, j’utilise plusieurs questions guides :

  • « Comment chaque personne impliquée définit-elle le problème ? »
  • « Quelles valeurs semblent essentielles pour chacun(e) ? »
  • « Quels besoins non exprimés peuvent motiver les comportements observés ? »
  • « Comment chacun(e) interprète-t-il les intentions de l’autre ? »
  • « Quelles sont les croyances limitantes qui sous-tendent chaque position ? »

Ces questions, posées avec bienveillance, permettent de cartographier les différentes visions du monde sans les hiérarchiser.

 

Techniques pour favoriser la prise de conscience

 

Pour favoriser la prise de conscience des participant(e)s quant à la relativité de leur propre vision du monde, plusieurs techniques s’avèrent efficaces :

  • Les questions circulaires : « Comment pensez-vous que votre collègue perçoit cette situation ? » ; « Que dirait votre usager(ère) s’il ou elle était présent(e) ? »
  • L’explicitation des présupposés : « Sur quelles croyances vous appuyez-vous pour penser cela ? » ; « Quelles sont les règles implicites qui vous guident ici ? »
  • La confrontation douce : « Je remarque que vous semblez tenir pour acquis que… Est-ce bien le cas ? » ; « Serait-il possible de voir les choses autrement ? »
  • L’utilisation de métaphores : « C’est comme si vous regardiez à travers un télescope pendant que l’autre utilise un microscope… Vous observez la même réalité, mais à des échelles différentes. »

 

Ces interventions visent toujours à élargir le champ des possibles, jamais à imposer une vision particulière.

 

Gestion des résistances et des émotions

 

Les résistances au changement de perspective sont normales et naturelles. Le poids de l’éducation et des habitudes est considérable. Nous avons tous tendance à nous accrocher à notre vision du monde, car elle nous procure sécurité et cohérence.

 

Face aux résistances, quelques principes s’avèrent utiles :

  • Légitimer : reconnaître que la résistance est une réaction normale et protectrice
  • Temporiser : ne pas chercher à forcer le changement, respecter le rythme de chacun
  • Doser : proposer des pas petits mais concrets vers une perspective élargie
  • Soutenir : offrir un filet de sécurité émotionnelle pour ceux qui prennent le risque de remettre en question leur vision

 

Quant aux émotions, elles sont au cœur du processus. Loin d’être des obstacles, elles sont des indicateurs précieux des valeurs et des besoins en jeu. Dans mes GAPP, j’encourage l’expression des émotions tout en veillant à ce qu’elles soient accueillies sans jugement et reliées aux besoins qu’elles signalent.

 

Intégrer l’approche systémique de Palo Alto dans sa pratique quotidienne

 

Application au quotidien

 

L’approche systémique ne se limite pas aux séances formelles de GAPP. Elle peut imprégner l’ensemble des pratiques professionnelles quotidiennes. Pour les directeurs et managers, plusieurs applications concrètes sont possibles :

  • Dans les entretiens individuels : pratiquer l’art du questionnement systémique pour explorer les différentes facettes d’une situation
  • Lors des réunions d’équipe : instaurer des rituels qui favorisent l’expression des différentes perspectives avant toute prise de décision
  • Dans la gestion des conflits : utiliser les techniques de recadrage pour transformer les oppositions stériles en complémentarités fécondes
  • Pour la communication institutionnelle : veiller à ce que les différentes visions du monde (professionnel(le)s, usagers(ères), familles, partenaires) soient prises en compte dans les documents et procédures

L’intégration de cette approche dans le quotidien professionnel ne nécessite pas un bouleversement radical, mais plutôt une attention particulière à la multiplicité des perspectives et une curiosité authentique pour la vision du monde de l’autre.

 

Créer des ponts

 

Applications pratiques en entreprise

 

Comment identifier les différentes visions du monde en présence

 

Pour identifier les visions du monde qui coexistent dans une situation, j’utilise plusieurs questions guides :

  • « Comment chaque personne impliquée définit-elle le problème ? »
  • « Quelles valeurs semblent essentielles pour chacun(e) ? »
  • « Quels besoins non exprimés peuvent motiver les comportements observés ? »
  • « Comment chacun(e) interprète-t-il les intentions de l’autre ? »
  • « Quelles sont les croyances limitantes qui sous-tendent chaque position ? »

Ces questions, posées avec bienveillance, permettent de cartographier les différentes visions du monde sans les hiérarchiser.

 

Techniques pour favoriser la prise de conscience

 

Pour favoriser la prise de conscience des participant(e)s quant à la relativité de leur propre vision du monde, plusieurs techniques s’avèrent efficaces :

  • Les questions circulaires : « Comment pensez-vous que votre collègue perçoit cette situation ? » ; « Que dirait votre usager(ère) s’il ou elle était présent(e) ? »
  • L’explicitation des présupposés : « Sur quelles croyances vous appuyez-vous pour penser cela ? » ; « Quelles sont les règles implicites qui vous guident ici ? »
  • La confrontation douce : « Je remarque que vous semblez tenir pour acquis que… Est-ce bien le cas ? » ; « Serait-il possible de voir les choses autrement ? »
  • L’utilisation de métaphores : « C’est comme si vous regardiez à travers un télescope pendant que l’autre utilise un microscope… Vous observez la même réalité, mais à des échelles différentes. »

 

Ces interventions visent toujours à élargir le champ des possibles, jamais à imposer une vision particulière.

 

Gestion des résistances et des émotions

 

Les résistances au changement de perspective sont normales et naturelles. Le poids de l’éducation et des habitudes est considérable. Nous avons tous tendance à nous accrocher à notre vision du monde, car elle nous procure sécurité et cohérence.

 

Face aux résistances, quelques principes s’avèrent utiles :

  • Légitimer : reconnaître que la résistance est une réaction normale et protectrice
  • Temporiser : ne pas chercher à forcer le changement, respecter le rythme de chacun
  • Doser : proposer des pas petits mais concrets vers une perspective élargie
  • Soutenir : offrir un filet de sécurité émotionnelle pour ceux qui prennent le risque de remettre en question leur vision

 

Quant aux émotions, elles sont au cœur du processus. Loin d’être des obstacles, elles sont des indicateurs précieux des valeurs et des besoins en jeu. Dans mes GAPP, j’encourage l’expression des émotions tout en veillant à ce qu’elles soient accueillies sans jugement et reliées aux besoins qu’elles signalent.

 

Intégrer l’approche systémique de Palo Alto dans sa pratique quotidienne

 

Application au quotidien

 

L’approche systémique ne se limite pas aux séances formelles de GAPP. Elle peut imprégner l’ensemble des pratiques professionnelles quotidiennes. Pour les directeurs et managers, plusieurs applications concrètes sont possibles :

  • Dans les entretiens individuels : pratiquer l’art du questionnement systémique pour explorer les différentes facettes d’une situation
  • Lors des réunions d’équipe : instaurer des rituels qui favorisent l’expression des différentes perspectives avant toute prise de décision
  • Dans la gestion des conflits : utiliser les techniques de recadrage pour transformer les oppositions stériles en complémentarités fécondes
  • Pour la communication institutionnelle : veiller à ce que les différentes visions du monde (professionnel(le)s, usagers(ères), familles, partenaires) soient prises en compte dans les documents et procédures

L’intégration de cette approche dans le quotidien professionnel ne nécessite pas un bouleversement radical, mais plutôt une attention particulière à la multiplicité des perspectives et une curiosité authentique pour la vision du monde de l’autre.

 

Outils et exercices pratiques pour les managers et directeurs(trices)

 

Voici quelques outils concrets que les managers peuvent facilement intégrer à leur pratique :

 

📝 Le journal des perspectives multiples

 

Prendre l’habitude de noter, face à une situation complexe, au moins trois perspectives différentes. Pour chacune, décrire :

  • Comment la situation est perçue
  • Quelles valeurs sont en jeu
  • Quels besoins sont exprimés ou non satisfaits
  • Quelles solutions sont envisageables depuis cette perspective

Cet exercice, pratiqué régulièrement, développe la flexibilité cognitive et l’empathie.

 

⭕️ La pratique des « cercles d’empathie »

Lors de situations tendues avec des familles ou entre membres de l’équipe, organiser un bref exercice où chacun(e) est invité(e) à :

  1. Exprimer sa propre vision de la situation
  2. Se mettre à la place de l’autre et formuler, à la première personne, comment il pourrait percevoir la même situation
  3. Identifier les points de convergence possibles

 

🎓 Formation et développement de cette compétence

 

La capacité à naviguer entre différentes visions du monde est une compétence qui s’acquiert et se développe avec le temps et la pratique. Pour les directeurs(trices) et managers souhaitant approfondir cette approche, plusieurs voies sont possibles :

  • Formations spécifiques à l’approche systémique, à la Communication Non Violente, ou à la médiation systémique
  • Supervision individuelle ou collective pour prendre du recul sur sa propre pratique et identifier ses angles morts
  • Groupes de pairs où échanger sur les situations complexes et s’enrichir mutuellement des expériences de chacun
  • Lectures et ressources sur l’École de Palo Alto, la systémique et la communication interpersonnelle

 

L’acquisition de cette compétence est un processus continu plutôt qu’un état à atteindre. Même les praticien(ne)s expérimenté(e)s continuent d’affiner leur capacité à naviguer entre les visions du monde et à faciliter le dialogue entre des perspectives différentes.

 

Bénéfices à long terme pour les institutions et les équipes

 

L’intégration de l’approche systémique et la capacité à réconcilier des visions du monde différentes apportent de nombreux bénéfices durables aux institutions :

  • Réduction des conflits : en transformant les oppositions en complémentarités, cette approche diminue significativement les tensions interpersonnelles et les conflits d’équipe
  • Amélioration du climat de travail : le sentiment d’être compris(e) et respecté(e) dans sa vision du monde favorise l’engagement et le bien-être au travail
  • Renforcement de la qualité d’accompagnement : la capacité à comprendre et à intégrer les perspectives des usagers(ères) et des familles conduit à un accompagnement plus personnalisé et plus efficace
  • Innovation et créativité accrues : la coexistence de visions différentes, lorsqu’elle est bien gérée, devient source d’innovation et de solutions originales
  • Meilleure gestion du changement : comprendre les différentes perspectives face à un changement permet d’accompagner plus efficacement les transitions institutionnelles

 

Conclusion : au-delà des différences, créer des ponts

 

La diversité des visions du monde est une réalité incontournable dans nos environnements professionnels. Elle peut être source de richesse ou de conflit, selon notre capacité à la reconnaître et à la valoriser.

 

L’approche systémique de Palo Alto nous offre un cadre précieux pour transformer cette diversité en atout. En nous invitant à rejoindre la vision du monde de l’autre sans la juger, à explorer les différentes perspectives comme des éclairages complémentaires plutôt que contradictoires, elle ouvre la voie à une compréhension plus profonde et à des solutions plus intégratives.

 

Pour les directrices, directeurs, responsables et managers d’institutions sociales, médico-sociales ou éducatives, développer cette compétence représente un investissement considérable en termes de temps, d’attention et parfois de remise en question personnelle. Mais les bénéfices dépassent largement cet investissement : équipes plus soudées, usagers(ères), familles mieux accompagné(e)s, institutions plus résilientes.

Bibliographie

 

Approche systémique et École de Palo Alto

  • Watzlawick, P., Beavin, J. H., & Jackson, D. D. (1972). Une logique de la communication. Points Essais.
  • Watzlawick, P. (1980). Le langage du changement : éléments de communication thérapeutique. Seuil.
  • Bateson, G. (1977). Vers une écologie de l’esprit. Seuil.

Communication Non Violente et dialogue intérieur

  • Rosenberg, M. (2016). Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : Introduction à la Communication Non Violente. La Découverte.
  • D’Ansembourg, T. (2008). Cessez d’être gentil, soyez vrai ! Être avec les autres en restant soi-même. Les Éditions de l’Homme.

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